Jean Laborde, le « ramose », le premier « Vazaha-gasy » à Madagascar

Jean Laborde, ce nom évoque une très grande partie de l’histoire de Madagascar, cette île bordée par l’Océan Indien et le Canal de Mozambique. Je ne pense pas que mon voyage à Mantasoa ait été une pérégrination, mais c’était quand même une vraie découverte qui a duré un week-end entier. J’ai eu l’occasion de visiter pour la première fois la maison de Jean Laborde ainsi que sa fonderie à Mantasoa. Je vais donc vous partager ce que j’ai appris au cours de ce voyage inspirant :).

Qui est Jean Laborde, et comment est-il venu à Madagascar ?

Jean Laborde est un Français, né le 16 octobre 1805 à Auch. Cet homme a quitté le collège Impérial d’Auch à l’âge de 13 ans, à la fin de son cycle, pour aider son père dans son métier de forgeron. Il a porté main forte à son père dans la forge jusqu’en 1822. Après cela, Jean Laborde a commencé son parcours militaire en s’engageant dans un régiment de militaires qu’on appelait Dragons et a terminé son parcours en étant sergent (ou Maréchal des Logis), ce fut en 1826.

Voici l’homme, le « ramose »

C’est là que le jeune homme a décidé de parcourir le monde et se lancer dans le commerce. Ses parents l’ont soutenu, ce qui l’encourage pour partir pour l’Inde et y vendre ses « pacotilles ». Son commerce semblait beaucoup marcher, il a même pu fonder son atelier et sa forge dans une ville au Sud-Est de l’Inde appelée Pondichery.

À 25 ans, Jean Laborde s’est embarqué dans le brick Saint-Roch pour aller vers l’île de Juan de Nova, à la recherche de nouvelles ressources. Mais le destin en a décidé autrement. En partant de l’Inde, vers le Sud, le Saint-Roch a été pris dans un cyclone. Le bateau a échoué sur les côtes Sud-Ouest de Madagascar, près de l’embouchure du fleuve de Matitanana, pas loin de Vohipeno. En d’autres termes, Jean Laborde est arrivé à Madagascar par pur hasard, à cause du vent :P. (Comme Diego Diaz aussi, lors de la découverte de Madagascar).

Une aventure palpitante

Arrivé sur les côtes Sud-Est de Madagascar, Jean Laborde décide de partir vers le nord du pays, mais lui et son équipage sont vite arrêtés par les « fokonolona ». Les villageois décident de les tuer, mais le sage du village s’y oppose. Nos « vazaha » étaient donc conduits à la résidence de Mahela, à 180 kilomètres de marche. Là réside Napoléon de Lastelle, un français en excellente relation avec la Reine.

La Reine Ranavalona I, comme nous le savons tous, était une reine stricte qui méprisait les « vazaha ». Or, Napoléon de Lastelle devait l’informer de la présence d’un autre « vazaha » sur l’Île. Comme la Reine était à la recherche d’un homme doué pour la fabrication de fusils et d’armes à feu, de Lastelle profite de l’occasion. Ce dernier remarque vite que Jean Laborde est un homme à tout faire, alors il prend soin d’en informer la Reine. C’est en fait une ruse pour protéger la peau de Laborde.

La reine Ranavalona Ière était à la recherche d’une personne pour fabriquer les fusils

Le temps que la Reine à Manjakamiadana reçoive le message envoyé depuis Mahela, des événements se sont produits. Après avoir permis à Jean Laborde d’épouser sa fille Emilie Roux, une métisse, Napoléon de Lastelle lui offre des livres. Autodidacte et passionné, Laborde poursuit son apprentissage de fabrication d’armes à partir de ces livres.

Même la Reine fut éblouie par ses talents

Si au début, l’histoire de fabrication de fusils n’était qu’une histoire pour amadouer la Reine, Laborde compte bien faire en sorte que le mensonge n’en soit plus un.

En 1933, Jean Laborde signe un contrat pour la promesse de 4000 fusils. Dans ce contrat, il est aussi stipulé que Laborde enseignerait aussi la fabrication d’armes aux ouvriers. Ainsi, il serait payé 1 piastre par fusil.

Le contrat qu’a signé Jean Laborde pour les 4000 fusils

En mars 1837, il signe un second contrat pour la fabrication de plusieurs autres produits comme les canons en fonte de fer, une magnanerie, une verrerie, etc. La Reine n’en fut que séduite par cet homme talentueux et ambitieux.

Pourquoi Mantasoa ?

En montant vers Antananarivo, Jean Laborde s’installe pendant un moment à Ambonin’Angavo (l’actuel Ambanidia), en attente d’un entretien avec la Reine. Quand le premier contrat se termine en 1836, l’homme projette de retourner en France, mais son attachement pour sa femme Émilie ainsi que pour son fils Clément finissent par prendre le dessus.

Une photo de Clément Laborde, fils de Jean Laborde et d’Émilie Roux

Comme son atelier à Ilafy n’était pas assez spacieux, il voulait un endroit aussi grand que ses projets et rêves. Quand la Reine lui demande où il veut élire domicile, son choix se porte sur Mantasoa. Il a d’ailleurs déjà remarqué l’endroit lorsqu’il était à Ambonin’Angavo.

Voici une maquette des constructions de Jean Laborde à Mantasoa

Il a jugé que Mantasoa serait l’idéal, car ce village était riche en eau en guise de force motrice, en gîtes de minerais de fer et en forêt pour le bois.

Mantasoa ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans les travaux de Laborde

Des constructions qui sont restées dans l’histoire

Jean Laborde est l’auteur de plusieurs constructions à Madagascar. On les reconnaît au symbole phallique quasi-présent sur toutes ses œuvres (un pénis en érection, signe de virilité).

Le symbole phallique sur toutes les constructions du « ramose »

Pendant l’installation de Jean Laborde à Mantasoa en 1839, la reine Ranavalona I lui fait part de son désir de faire de Manjakamiadana le palais le plus prestigieux d’Antananarivo. Aussitôt, notre ancien naufragé s’empresse de réaliser les désirs de la Reine, malgré le nombre de travaux qui l’attendent. En 1845, le palais de Manjakamiadana devient une marque de puissance visible sur tout Antananarivo.

Jean Laborde a construit le Rova de Manjakamiadana en bois avant que James Cameron le rebâtisse en pierres

C’est d’ailleurs l’origine de l’adage « Antananarivo no tsara trano ka Ivakinadiana no sola vantony », traduisez « c’est Antananarivo qui veut sa belle maison et c’est Ivakinadiana (la région de Manjakandriana) qui en devient chauve ». C’est parce que lors de la construction du palais de la Reine (en bois), les matériaux étaient transportés à pied, sur la tête des habitants de l’Ouest (Mantasoa, Manjakandriana, etc.).

À Mantasoa, il fit même construire une résidence ainsi qu’une piscine dont l’eau se renouvelait constamment pour Ranavalona I. C’est pour cela qu’on dit que Mantasoa abrite le « bain de la Reine ».

Voici le bassin réservé à la reine pour son bain

Jean Laborde a également construit le lac artificiel de Mantasoa, la fonderie ainsi que les usines locales. Il est l’auteur d’autres infrastructures encore, pour ne citer que la tombe de Rainiharo à Isoraka.

Une petite vue panoramique des anciennes constructions de Laborde à Mantasoa. Il y a le lycée Jean Laborde à la place de son ancienne usine

La maison Jean Laborde à Mantasoa

Jean Laborde, lors de son installation à Mantasoa n’a pas manqué de créer sa demeure. C’est une grande maison toute faite en bois, avec une architecture simple. L’entrée donne sur une grande salle qui a servi de salle de séjour. De nos jours, cette salle est devenue un musée pour montrer les accomplissements de notre vazaha-gasy. Cette grande salle donne sur deux chambres plus petites : celle d’à droite était la chambre de Jean Laborde (actuellement une bibliothèque) et celle de gauche l’ancienne chambre de la Reine Ranavalona I, qui est actuellement une salle de lecture.

La maison Jean Laborde à Mantasoa est ouverte à tous les curieux

Selon la maîtresse de la maison actuelle, seuls la toiture et le parquet de la grande salle ont connu quelques rénovations. Les autres détails sont encore authentiques.

On expose actuellement les accomplissements de Laborde dans la grande pièce de sa maison

À l’entrée de la résidence, on peut constater le symbole phallique, puis deux tables en pierres symétriques sont dressées au milieu du jardin.

Il paraît que Jean Laborde était un homme à femmes, il était en adoration devant le corps féminin, c’est pourquoi sa résidence, paraît-il, en a la forme :P. Je n’ai pas de photo aérienne pour illustrer cela, mais je vais essayer de vous l’expliquer avec des mots.

La maison a été construite pour former la tête de la femme, avec des cheveux en coupe carrée. Au milieu du jardin, il y a les deux tables rondes symétriques en pierre, pour faire guise de poitrine (la décence oblige xD). Sur les côtés, il y a les habitations des militaires de Laborde qui forment les bras de la femme. Vers la sortie, l’on constate que la forme de la route est évasée, ce qui fait penser à des hanches… Et figurez-vous qu’il y a une petite pelouse pas loin :P. Bon, je vais m’arrêter là, allez à Mantasoa pour voir !

Est-ce que Radama II est le fils de Jean Laborde ?

Comme nous le savons tous, Jean Laborde et la reine Ranavalona I avaient une relation plus que professionnelle. Ils avaient une relation intime et cela sautait aux yeux. Laborde se pliait aux quatre volonté de la Reine, dans tous les sens du terme.

Court alors la rumeur selon laquelle le prince Rakoto ou Radama II serait le fils de Laborde. Avouez-le, vous-y avez pensé dès que la présumée relation a été mentionnée. Mais cela est faux, tout à fait faux ! Pourquoi cette affirmation ? C’est tout simplement parce que Laborde n’est arrivé à Madagascar qu’en 1831 alors que le roi Radama II est né en 1829. Voilà l’explication ! Néanmoins, le prince Rakoto a été éduqué en grande partie par Laborde. Ce dernier lui a inculqué les valeurs du christianisme.

Le prince Rakoto ou Radama II n’est pas le fils de Jean Laborde

À cause d’un complot contre la Reine pour introduire des vazaha et mettre le prince Rakoto au pouvoir, Jean Laborde a été expulsé de Madagascar et s’est réfugié quelque temps à l’île de la Réunion.

Après la mort de Ranavalona I, son successeur Radama II fit revenir Jean Laborde ainsi que d’autres Vazaha à Madagascar. Ainsi, Laborde est devenu le premier consul de France à Madagascar en 1862.

Jean Laborde meurt le 27 décembre 1878 à Antananarivo et fut enterré à Mantasoa, dans le tombeau qu’il s’est construit lui-même. Mais aujourd’hui, sa dépouille n’y est plus, reprise par sa famille.

Le tombeau de Jean Laborde à Mantasoa

Fin de cette longue histoire ! Pour conclure, la reine Ranavalona I fut toujours satisfaite par les talents et le dévouement de Jean Laborde. Ce dernier a constitué une grande partie de l’histoire de Madagascar par la construction de différentes infrastructures. C’était un homme vraiment intelligent et travailleur. Mais il est aussi inutile de se voiler la face, nous savons très bien que Jean Laborde est la cause de l’introduction étrangère à Madagascar, ce qui a ensuite conduit à la colonisation par les Français.

Je vous invite à visiter sa maison et ses usines à Mantasoa. La visite est gratuite, il faudra seulement prévoir un petit pourboire pour les guides.

Vos yeux se régaleront avec un décor hors du commun !

Personnellement, la visite de sa fonderie est ce qui m’a le plus marqué, c’était à la fois amusant et très instructif ! Le mariage de l’architecture tout en pierre avec le paysage sauvage est tout simplement magnifique, on se croirait dans une scène de Tomb Raider, même si je suis loin d’être Lara Croft :P.

Comme un décor de cinéma xD (je vous montre juste des photos, je ne joue pas aux mannequins xD)

Bon, je pense que vous connaissez encore d’autres détails que j’ai peut-être oublié de mentionner dans cet article, n’hésitez pas à les balancer en commentaires !

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